Le Baiser de Rodin
Je suis allée au Musée Rodin rendre visite à Paolo et Francesca, je vous raconte…
Complètement raté ! Paolo et Francesca étaient censés errer dans les limbes glacials des enfers et les voilà bien au chaud dans un magnifique hôtel particulier de la rue de Varennes, tout nus, en train de s’embrasser ! Tu parles d’une damnation !
Pas loin des Enfers
Certes, la Porte des Enfers n’est pas loin, juste en bas, en plein milieu du jardin, mais ça n’a vraiment pas l’air de les gêner. De toute façon, ils sont coupés du monde, tous les deux, enlacés, bouche contre bouche, concentrés l’un pour l’autre. Focalisés sur leur amour, ils n’entendent rien du tout, ils ne voient même pas les milliers de visiteurs qui viennent les admirer tout au long de l’année.
Une étreinte passionnée
Pour le moment, vous me direz, ils sont bien tranquilles, trop tranquilles même. Ils ont pourtant pris l’habitude d’être des chefs-d’œuvre de la sculpture. Mais l’hôtel Biron, situé juste derrière les Invalides, est fermé pour cause de pandémie, comme tous les musées de France. Là encore, on nous a bien dit de ne pas nous embrasser mais les deux tourtereaux n’en ont que faire.
J’ai la chance de les avoir vus de mes yeux plusieurs fois, notamment fin octobre dernier. Je suis allée leur rendre visite entre deux confinements, par un dimanche après-midi gris et pluvieux. La capitale était presque déserte ; seules quelques dizaines de parisiens s’étaient déplacées.
Au cœur de Paris
Comme toujours, ils m’attendaient, indifférents à la pluie, à la morosité ambiante, aux querelles stériles des uns et des autres, aux gestes barrières, aux interdits, à la peur générale du lendemain (…), amoureux comme au premier jour, épris l’un de l’autre pour toujours, loin du chaos de la Porte des Enfers pourtant si proche… La passion ne les a pas quittés.
Dante, dans sa Comédie Humaine, leur prédisait pourtant un destin des plus funestes. Même leur sculpteur, Auguste Rodin, les destinait à la torture, à la souffrance d’une éternelle agonie. Mais rien n’y a fait, même les guerres et les épidémies n’ont eu aucune prise sur eux. L’œuvre a bel et bien échappé au sculpteur et à ses tourments.
Le marbre est resté blanc, la roche est restée vivante. L’élan qui les propulse l’un vers l’autre, leurs corps frémissants de sensualité et de bonheur nous font toujours trembler d’émotion et de plaisir. Ils s’aiment passionnément. C’est leur force immense. C’est notre humanité qui l’emporte, qui les emporte, qui nous emporte…
Quand un bon sculpteur modèle des corps humains, il ne représente pas seulement la musculature, mais aussi la vie qui les réchauffe.
Auguste Rodin
Nulle violence dans ce constat. La main de Paolo délicatement posée sur la hanche de Francesca, le pied à peine soulevé de Francesca, sa main discrètement posée sur le cou penché de son amant n’inspirent que douceur et délicatesse. L’érotisme de leurs deux corps nus, splendides, à peine sortis de la roche, invite à la pudeur et à l’intimité. La scène respire la sensualité. Cet instant n’est rien qu’à eux, n’est rien qu’à nous…
Un hymne à la sensualité
Le socle et la sculpture se mélangent. Les amants jaillissent du marbre, la sensation de mouvement donne une intensité spirituelle et dramatique à la roche. Le matériau s’éveille, la vie surgit, l’émotion nous désarme: le charme opère.
Je vous vois venir… Vous allez me dire d’atterrir, vous allez me mettre en garde une fois de plus sur la passion. Je sais ce que vous pensez : « Marie-Anne, réveille-toi, les histoires d’amour finissent toujours mal ! » En général, oui, mais pas cette fois…
Les Histoires d’amour finissent mal, en général
La playlist Rodin
Sur Spotify
Sur Deezer
Le baiser en détail
Comme dans toutes les œuvres de Rodin, les mains des personnages sont disproportionnées, de même que les pieds. Le sculpteur travaillait ces parties du corps à part. Cette disproportion amenait de la puissance et de la force au personnage. (L’œuvre à la loupe : Le Baiser de Rodin – KAZOART blog)
Pour l’anecdote
Rodin ne travaillait pas lui-même le marbre, mais confiait cette mission à des praticiens de confiance, ce qui provoquait l’indignation de certains critiques d’Art. Il réalisait uniquement l’œuvre en terre cuite et en plâtre, le modèle étant ensuite transposé dans la pierre grâce à la technique des reports et des « points justes ». Ainsi la première version en marbre du Baiser, commandée par l’État en 1888, a été réalisée par Jean Turcan. (L’œuvre à la loupe : Le Baiser de Rodin – KAZOART.com)
Les podcasts
France culture
- Auguste Rodin ou l’esthétique de l’inachèvement (1840-1917)
- L’or de Camille Claudel (1864-1943)
Europe 1
- Au cœur de l’histoire : Auguste Rodin, le « Bouc sacré » (Franck Ferrand)
Les vidéos
Le baiser dévêtu
Documentaire Rodin Le Baiser
France 24 : Auguste Rodin, sculpteur de génie
Rodin : Le film (bande-annonce)
Sources